Notre Histoire
Du Front Populaire à la libération
Issus du Front populaire, des foyers paysans se mettent en place dans la France rurale, œuvrant pour les mêmes objectifs – la laïcité en plus – que les Jeunesses agricoles chrétiennes (JAC) : former l’élite du monde rural de demain en assurant aux jeunes paysans une formation technique, humaine et sociale. Ils sont au nombre de 130 à la veille de la Seconde Guerre mondiale…
Le “foyer paysan de culture et d’émancipation intellectuelle” de Saint Jean-du-Doigt est créé par un jeune paysan du Finistère, membre de la SFIO et de la Confédération nationale des paysans (CNP, émanation syndicale de la SFIO), François Tanguy-Prigent.
Plus jeune député du Front Populaire en 1936, il devient en 1944 le ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement du général de Gaulle.
Au lendemain de la guerre, le gouvernement de la République s’attache à la reconstitution du pays : outre les missions primordiales de modernisation de l’agriculture, François Tanguy-Prigent s’emploie à l’accompagnement culturel de la reconstruction et à l’émancipation de la tutelle religieuse des campagnes, en aidant au développement des syndicats, des coopératives et des foyers ruraux.
Aux foyers ruraux, les fondateurs du mouvement assignent une mission quasi révolutionnaire, tout au moins clairement anti-réactionnaire. Ainsi peut-on lire dans un des manifeste pour la création des foyers ruraux (Foyers et progrès social, 10 août 1945) :
La nécessité d’une éducation des milieux ruraux s’est affirmée en 1936 avec le gouvernement du Front populaire. Quoi de plus naturel ! Les vrais révolutionnaires savent que le progrès social est intimement lié au progrès intellectuel et moral. Nous avons vu naître, de 1938 à 1939, une centaine de « foyers paysans » destinés à organiser des loisirs de qualité pour les ruraux, à développer leur intelligence, leur sens artistique, à enrichir leur vie intérieure. Que sont devenus ces foyers ruraux pendant les dures années de guerre ? Ils ont été contraints d’abandonner leur activité, car les militants qui les animaient étaient, à plus d’un titre, suspects au gouvernement de Vichy.
Pourtant Vichy, lançant à grand bruit la formule de l’Éducation générale, embrigadait la jeunesse, la flattait, créait des Maisons de la Jeunesse, un commissariat de la Jeunesse, essayait d’engager les jeunes dans ce qu’on appelait « Révolution Nationale ». Chacun sait qu’il ne s’agissait pas de les préparer à devenir des hommes conscients et libre, mais de les apprendre à marcher au pas en chantant « Maréchal, nous voilà ! », de leur apprendre à penser aux ordres, à obéir au commandement.
La IV° République recueille un lourd héritage ! Sans doute une grande vague d’enthousiasme populaire a tenté de balayer, au lendemain de la libération, tout ce qui pouvait rappeler un régime détesté. Mais on n’abolit pas un passé. Nous sommes marqués plus profondément que nous ne l’avions cru par les institutions de Vichy et, par ailleurs, le travail persévérant des « valets de l’Etat Français » se poursuit ! Nos efforts se heurtent à des écueils invisibles, à des pièges aussi sournoisement qu’habilement tendus. Car Vichy, c’est la réaction… et la réaction n’est pas morte. Sabotage, sabotage, entendons-nous partout ! Et oui ! La réaction sabote pour nous dire ensuite en ricanant « Qu’avez-vous réussi ? » La réaction voudrait bien que nous désespérions, que nous renoncions à revendiquer le droit de tout homme à prendre conscience de sa valeur humaine.
Nous ne renoncerons pas, disons-le bien haut ! Nous appellerons sans trêve tous les esprits soucieux du progrès social à S’UNIR pour réaliser enfin la libération totale dont la libération des territoires n’est qu’une étape.
Que tenter, au village, pour participer à cette libération, pour que le peuple devienne vraiment « le peuple souverain » ? Nous chercherons à faire vivre l’esprit en arrachant les hommes, les femmes, les jeunes de nos campagnes au sentiment d’isolement qui les amène à rêver de la vie des villes. Nous édifierons des Foyers Ruraux où tous ceux qui aspirent à une vie complète trouveront des moyens d’épanouissement. […]
Le 13 septembre 1945, les ministères de l’Agriculture et de l’Éducation nationale officialisent l’existence des Foyers Ruraux. Le 17 mai 1946, au château de Sceaux, une Assemblée générale vote les statuts et élit le conseil d’administration de la Fédération nationale des Foyers Ruraux (FNFR). La FNFR entre alors à la Confédération générale des œuvres laïques, en gardant son autonomie juridique, et bénéficie de postes d’instituteurs détachés et des services des Fédérations des œuvres laïques…
Les jeunes années, laïcité et parité culturelle (1946-1960)
Parrainée par les ministères, la FNFR bénéficie jusqu’en 1948 d’un “régime de faveur” que lui envient nombre d’associations. Mais avec le départ de François Tanguy-Prigent et le recentrage des gouvernements sous la IVè République, la jeune fédération devra se battre pour maintenir et développer le mouvement des Foyers Ruraux.
En cherchant à développer ses propres structures départementales, la FNFR entre en conflit avec la Ligue de l’enseignement et ses fédérations départementales des œuvres laïques.
D’autres conflits éclatent, avec la fédération française des MJC, avec l’Union nationale des foyers ruraux de la famille et des jeunes : à l’évidence, les clivages politiques sont pour le moins présents au sein de la grande famille de l’éducation populaire, bien qu’au niveau local les positions paraissent moins tranchées.
Pour éviter tout amalgame, les nouveaux statuts de 1952 stipulent qu’à l’exception des coopératives, tous les adhérents des foyers sont des personnes physiques (un foyer rural ne peut pas être un organisme fédérant des associations locales).
Marginalisés sur les actions de formation agricole, les Foyers Ruraux se recentrent sur une stratégie culturelle autour des “3D” : Délassement, Divertissement, Développement. De 200 en 1948, on passe alors à un millier de Foyers Ruraux à la fin des années 50.
La modernisation, la saga de l’animation socio-culturelle (1960-1970)
Les sixties ou l’entrée en modernité : en ces années de pleine croissance, la génération du baby-boom donne un coup de jeune à la France, tandis que société de consommation et de culture de masse transforme profondément les mentalités.
Nommé ministre de l’Agriculture en 1961, Edgar Pisani souhaite accorder une place privilégiée au “capital humain”, et développe le système de formation initiale en construisant lycées et collèges agricoles. Les Foyers Ruraux, associés à cette politique, se rapprochent des CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et des Foyers de Progrès Agricole (par la suite CFPPA) afin de coordonner les actions de promotion sociale collective et de formation permanente. Concernant l’animation culturelle, la loi-programme d’Équipements socio-éducatifs permet la construction de nouveaux Foyers.
En 1964, la Direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture met à disposition de la FNFR un certain nombre d’animateurs socio-culturels, et la création des FONJEP permet de recruter les premiers permanents des associations.
En 1965, la Direction de l’aménagement aide à l’installation du siège social dans de nouveaux locaux (rue de Javel) et à la réalisation du Centre culturel et d’accueil à Mittelwihr (Haut-Rhin). Ce centre, ouvert en 1966, offre une importante capacité d’accueil pour la formation des animateurs, les séjours d’été de groupes de jeunes et d’adultes et les rencontres internationales entre jeunes ruraux. Un deuxième centre est programmé à Alenya (Pyrénées Orientales).
Conférences, publications, enquêtes, formations… les nombreuses productions de la FNFR illustrent la croissance du mouvement et l’évolution des activités de loisirs et de vulgarisation vers l’animation socio-culturelle.
Mais à la fin des années 60, la FNFR entre dans une période conflictuelle : démission du secrétaire général, dissensions au sein du bureau national sont les premiers signes d’une crise qui va durer trois ans et se soldera par l’occupation des locaux du siège national et le renvoi des animateurs mis à disposition par le ministère de l’Agriculture.
Cette crise traverse en fait de nombreux mouvements d’éducation populaire, et traduit une remise en cause de l’animation socio-culturelle aussi bien que les attentes d’une génération qui revendique la liberté d’inventer.
Structuration et rénovation (1970-1980)
Mai 68 amorce le mouvement d’un retour à la terre, et le milieu rural voit l’arrivée de nouvelles populations, le renouveau des rapports sociaux, l’affirmation de cultures minoritaires et plus généralement l’épanouissement du régionalisme et de l’écologie.
La FNFR se retrouve dans le débat entre les partisans d’une animation ouverte sur le social et l’économie, et ceux attachés aux activités de loisirs centrés sur le Foyer, et par ailleurs dans l’affrontement ruraux/néo-ruraux.
Il reste que le milieu rural apparaît comme le grand délaissé des politiques publiques, mais les nouvelles orientations visent à la revalorisation de la culture rurale.
Dès 1974, la FNFR vit une période d’intense développement : elle connaît une augmentation considérable de ses moyens financiers et humains, et participe activement à la politique de développement culturel mise en place par les pouvoirs publics.
Le mouvement se rénove : structuration des Fédérations départementales et des Unions régionales, réorganisation administrative et comptable, rénovation du système de formation (avec notamment le développement d’Universités rurales) sont quelques-uns des grands chantiers mis en route.
La FNFR engage par ailleurs d’importantes réformes statutaires afin de retranscrire dans les textes l’évolution du mouvement. Cette forte croissance, marquée par de nouveaux champs d’activités et une professionnalisation du mouvement, oblige à repenser le rôle, la place et le statut des individus et des instances sur lesquels repose le mouvement.
Ce travail ne va pas sans conflits, par exemple sur la conception de l’animation entre les “foyeristes” (animateurs de Foyers) et “ruralistes” (agents de développement)…
Le choix du développement local (1980-1990)
Après une période de forte croissance et de profonde transformation, vient le temps d’une nécessaire réflexion sur le devenir de la Fédération : ce sera l’objet des congrès de Vittel (1981), Corte (1982) et Perpignan (1983) à l’issue desquels la Fédération s’engage résolument en faveur du développement global du milieu rural.
La période est également marquée par l’alternance politique de 1981.
Les trois premières années du nouveau pouvoir socialiste engagent des mesures en faveur du secteur associatif, une politique culturelle de grande ampleur, la réforme du développement agricole et surtout la régionalisation qui va modifier durablement le paysage. La FNFR mène une politique imaginative et méthodique avec notamment la Direction du développement culturel du ministère de la Culture, le Bureau de l’animation rurale du ministère de l’Agriculture et le Secrétariat d’État au Tourisme.
En 1981, les aides au mouvement progressent d’environ 1 million de francs (pour atteindre un total de près de 5 millions de francs), et 53 postes FONJEP lui sont attribués.
La FNFR continue par ailleurs à assurer la gestion des centres d’Alenya et de Mittelwihr, dénommés “centres familiaux de vacances rurales“.
Alors qu’elle a rétabli une image de marque tout à fait positive, la FNFR participe à la mise en place du CNVA (Conseil national de la vie associative), et négocie avec le ministère de la Jeunesse et des Sports l’agrément permettant de recevoir des fonds de formation et de prendre place dans le club des formateurs BAFA / BAFD.
En 1983 est créée la FNSMR (Fédération nationale du sport en milieu rural), qui fédérera désormais les Foyers Ruraux et associations rurales organisant des activités sportives.
Mais l’approfondissement de la crise économique et la mise en place d’une politique de rigueur à partir de 1983 modifient à nouveau les relations État-associations, caractérisées par une hausse des aides sur projet au détriment des subventions de fonctionnement.
La fragilité financière se double pour la FNFR de déficits croissants liés à la gestion des centres d’Alenya et de Mittelwihr. Durant ces années, la FNFR approfondit cependant son projet politique ; elle connaît toujours une forte croissance (2 000 Foyers Ruraux, 200 animateurs professionnels), développe de nouveaux champs de compétences et travaille aux modifications et adaptations nécessaires de ses structures. Elle décide d’affirmer son identité notamment par la création d’un nouveau logo en 1985.
L’année 1989 ouvre une nouvelle période pour la vie de la Fédération : première université rurale européenne, création du service international à Mittelwhir, mise en place du système confédéral (logique adaptation aux évolutions induites par la décentralisation), nouveau délégué général, vente du centre d’Alenya et début de règlement des contentieux financiers…